samedi 30 décembre 2017

Bon réveillon 2018... sur la 6 bien sûr ! (6)



La 6, la 6, la 6 ! C'est avec Papa-Eric ambianceur sur la 6 qu'on finit l'année 2017 qui aura donc vu la 6 se faire tamponner comme rarement (le site Drips y consacre un article avec de belles cartes postales). Car la 6, c'est toute une histoire liée au graffiti. La 6, c'est les toits qui surplombent l'aérienne de Nationale (Yom2 en 1993/ Tisko aujourd'hui) à Sèvres-Lecourbe (Doesoner dans Paris Tonkar / Smat et Dion fin des années 1990 / Horfé et Ikone à l'extincteur fin des années 2000). La 6, c'est aussi des voies taguées de long en large : Rap2122 y a consacré un ouvrage, Ligne 6 "Hors du temps"(Graffalife). La 6, c'est des spots de graffs légendaires 6 (Les frigos à Quai de la Gare/ le terrain de Bir Hakeim). Mais la 6, c'est surtout des dizaines et des dizaines de rames graffées depuis les années 1980. Les AEC (Artistes en Cavale) en avaient fait leur terrain de jeu aux débuts des années 1990.




Tout au long des années 1990, la 6 restera la ligne la plus prisée des graffeurs parisiens. Dans Descente interdite, Sore, grand vandale des années 1990, le dit :
"La 4, la 5 et la 11 étaient mes principales lignes. Mais ma préférée restait la 6. Tous les tagueurs de Paris étaient dessus : elle était défoncée et roulait en extérieur !"
Un engouement qui ne sera tari ni dans les années 2000, encore moins dans les années 2010. Ci-dessous quelques photos trouvées sur le net :





Et pour finir, une petite sélection de panels que j'ai pris en photo ces dernières années.










La 6, vue de l'intérieur (5)


Même quand y a de la couleur, les Parisiens font la gueule. Moi je prends la 6 tous les matins et quand la rame sort du tunnel, puis s'élance sur le pont de Bercy, je kiff jeter un petit coup d'oeil par la fenêtre en direction de la Seine. Les jours où il fait beau, tu te dis qu'y a pire comme ville où habiter... A 18 ans, j'avais écrit ce poème sur la 6. Gardé dans un tiroir... C'était y a 20 piges...













Sur la Six 

Installé dans son Trône, le métro gronde

rame bondée, ça part dans la seconde 

Portes qui claquent, strapontins qui tapent

Pneus qui crissent, mécanique qui glisse   

La marche mortelle du métro moderne

Petit périple jusqu'à Picpus, casse pipe souterrain

Coup de balais dans ce clair obscur

Il prend le Bel Air, bille en tête

Pour pas se faire dégommer du côté de Dugommier

De retour dans les profondeurs et les odeurs

le doux grincement des rails du douze

berceuse du Pont de Bercy

sur le quai de la Gare, on quitte la Seine

marécageuse aux bras immenses

la fuite vers les chemins de fer du treize élevé s'amorce

pas très à l'aise, comme un cheval raide, il enjambe les boulevards

Suite place d'It, où il crépite

pour reprendre son envol, le corps bizarre

vers des destinations glacières

Un froid d'enfer le plonge sous les rochereaux

Ambiance macabre, il piétine les os du vieux quatorze

Aspiré par les rails, rencontre suspecte à Raspail

Irrespirables senteurs de sépultures

chaleur étouffante, paranoïa montparnassienne

folie des grandeurs, passe-temps des années septante

A Pasteur toujours en piste

le métro du haut de ses arches de métal, féroces et animales

avale courbes et pentes raides, se cambre on ne sait comment

contourne les piquets jusqu'à La Motte

il se fait dupé à Dupleix,

un saxo pour oublier le passé

dans le noir présent après Passi, tour de passe passe

de troc à des rôdeurs planqués derrière le sac à main des grands-mères

A Kleber, même pas un clebs ou un clodo

que des soit-disants éclairés cloitrés dans leur huit clos

Tissant sa toile dans le ciel du tunnel sans étoile

entre quatre morceaux de taule

dernier systole dans ce système solaire





Du street art sur la 6 ? (4)



Avec l'iPhone, on a tendance à tout photographier. On devient vite un glouton qui ne se refuse rien : un bon lettrage en entrée, un panel passable en plat de résistance ou un throw up dégueulasse en dessert... Tout ça finit dans le ventre de l'iPhone, sans hiérarchie aucune.




Que retenir de ce déferlement sur la 6 en 2017 ? Première remarque : pas de street art sur les métros.  C'est bien connu : lorsque la descente est interdite, le graffiti reprend ses droits. La confusion  entre graffiti et street art que beaucoup semble craindre n'aurait lieu que dans les galeries d'art ? A méditer... En tout cas, on peut se poser la question suivante : Pourquoi Space invader n'a-t-il pas encore collé ses mosaïques au cul des rames de la 6 ? Trop risqué ? Trop peur de se faire gauler par un maître chien ? Plus la condition physique pour cavaler dans les tunnels ? Peut-être qu'il me contredira...




Deuxième enseignement : sur la trentaine de rames graffées qu'on a vu circuler sur la 6, on aura surtout croisé une écrasante majorité de panels dans la plus pure tradition new yorkaise des années 1970. Pas de tags, encore moins de punition, presque pas de flops ni de throw up : on est plus dans l'esprit de Subway Art que dans celui de Paris Tonkar. On est dans la continuité de la dernière partie (2005-2010) de Descente interdite (Wasted Talent -Alternatives, 2011) : on valorise le panel. Dans l'esprit du tapeur de trom de 2017, on ne descend pas avec un Baranne dans un dépôt pour saloper une rame à coup de tags dégoulinants, non, on y va avec minimum cinq bombes pour faire un panel coloré. Avec 2017 on est dans la tradition : une classe d'élèves disciplinés qui ont bien appris leur leçon, la "lesson of style" New yorkaise.




Troisième enseignement : ceux qui tentent un truc dingue à la Azyle ou à la Keag ou même à la Star (à l'extincteur ou avec de la merde) se comptent sur le doigt de la main.







Bien sûr, il y a l'exception qui confirme la règle : c'est cette tête de Jaunie (et celles de Bonnie and Clyde, voir en tête du poste précédent) assez marrantes qui se démarquent des autres pièces réalisées sur ces trois rames. On serait là plus dans un délire à la Popay (inspiré par Picasso), quelque chose qui s'inscrirait plus dans cette troisième voie "picturale" proposée par les PCP au début des années 90, entre l'école de la lettre lisible des Bando/Colt et l'école du wild style/semi wild style des Bbc/Lokiss  (selon une typologie opérée dans Writers).

vendredi 29 décembre 2017

Bonnie and Clyde sur la 6 (3)



Eté 2015. Un soir peu avant 20h. Je suis sur le quai à Corvisart. Il commence à pleuvoir. Une pluie fine. Mon regard se tourne vers les voies. Là-bas, je vois deux silhouettes sortir de la bifurque qui s'engouffre sous la place d'Italie. D'un pas pressé, les deux personnes remontent les voies en direction de Corvisart. J'ai peu de doute sur ce qu'elles viennent de faire dans la bifurque où une rame dort depuis quelque temps. Les deux silhouettes se rapprochent. Là, j'hallucine quand je vois que la personne qui marche en tête porte une jupe et des baskets. Derrière la meuf, le mec en mène pas large. Alors qu'elle marche à vive allure, les cheveux au vent, sac sur le dos, le mec suit, la tête vissée sous sa capuche d'anorak.




Partis comme ça, je me dis qu'ils vont monter sur le quai de la station et regagner au culot la sortie tel l'usager lambda, mais non, quelques mètres avant le quai, la fille se tourne de trois quart, et avec la rapidité et l'agilité d'un chat, escalade le mur et se hisse de l'autre côté en enjambant sans difficulté les pics de la clôture qui fait au bas mot 3 mètres de haut. Le mec, qui lui, ne porte pas de sac, se lance dans le même exercice, avec beaucoup moins d'assurance. On sent qu'il est pas au niveau, il galère de ouf, il est même à deux doigts de finir un pic planté dans le ventre. Finalement, il réussit au prix d'un effort surhumain à se hisser de l'autre côté.




Sur ce, le métro arrive, je monte dedans. Fenêtres ouvertes, la rame s'engouffre sous le tunnel qui mène à Place d'Italie. Instantanément, une odeur de bombe de peinture envahit le wagon. A ce moment-là, j'imagine la bonne décharge de vapeurs de bombes qu'ils ont dû manger lorsqu'ils ont fait leur panel collés  au mur...





Je n'ai jamais pu voir les pièces peintes dans cette bifurque ce jour-là, mais je me suis pris à imaginer ce couple : la fille dominatrice, chienne alpha, aventurière, Lara Croft du bitume ; le mec soumis, en admiration totale devant elle, prêt à la suivre partout, prêt à braquer une banque s'il le faut. Je me mets à délirer, à jouer avec cette idée d'une inversion des rôles féminins et masculins. Je fais d'elle une Bonnie survitaminée et de lui un Clyde tout keuss. Ce couple a à son actif une trentaine de métros graffés : c'est elle qui engraine, c'est elle qui fixe les objectifs. Elle dit : "ce soir chéri, on fait le dépôt de la 7", le mec il opine du chef. L'autre fois, ils se sont fait coursés, elle a réussi à semer les shtars, il s'est fait serré comme un bleu. Au poste, il a failli craquer, mais il a su tenir sa langue de peur de la perdre...








Trêve de plaisanterie, les filles ont toujours fait partie du graffiti. Il y a celles à qui ont été dédicacés des milliers de graff. On se souvient que dans les terrains parisiens des années 1980/1990, de nombreux graffeurs avaient peint le nom de leur copine : Roxiz (Jonone), Madly (Kongo), Vanessa (Psy)... Il y aussi les pionnières : Miss Van, Lady Fancie, Ema, Lady K et d'autres qui se sont hissées au niveau de leurs pairs et n'ont pas grand chose à prouver pour ce qui est du style. Sans parler des couples comme Utah et Ether qui en ont mis partout aux US. Comme quoi Marc-Aurèle Vecchione, l'auteur du film Star (2016) a bien senti l'air du temps en mettant en scène une histoire d'amour entre un tagueur parisien (Star) et une tagueuse romaine (Figa).